lundi 16 novembre 2009

LV pleure sur les Ingalls

Imaginez une colline révélant toute l’immensité et la quiétude du Minnesota. Imaginez une musique très enlevée, mutine. Une petite fille mignonne comme un cœur dévale la plaine et soudain, c’est la chute. La fillette s’écrase dans les herbes folles et tâche sa nouvelle robe à trous. Ce que vous imaginez là, mes amis, c’est le symbole de toute une génération : La Petite Maison dans la Prairie (que pour des raisons évidentes nous désignerons sous le sigle LPMDLP). Caroline, Charles, où êtes-vous ? Que de larmes j’ai pu verser sur le sort de votre admirable famille! A chaque épisode de la série, un terrible événement venait obscurcir votre douce harmonie. Je songe au jour où, Pattie, votre cheval de labour, a péri écrasée sous un chêne lors d’une tempête. Que dire de la cécité de votre petite Marie, devenue institutrice chez les bigleux? A n’en pas douter, le clan Ingalls est un modèle de solidarité! La jeune boutonneuse que j’étais, plongée dans les tourments d’une famille qui ressemblait plus aux Ewing qu’aux Ingalls, se prenait alors à rêver des plaines du Minnesota.
Nous avons tous souhaité un instant que la douce et blonde Caroline prenne la place de notre Môman. Ah, Caroline, Caroline si tu avais été ma mère, tu m’aurais caressé les cheveux en m’exhortant à faire des B.A, tu m’aurais demandé d’aller chercher deux seaux d,’eau à la fontaine pour me punir d’être rentrée trop tard (et c’est tout). Caroline m’aurait accueilli souriante, après avoir mitonné un petit plat de ras gondin pendant quatre heures et je l’aurais dégusté en faisant tremper mes tresses dans le bouillon. Aaah…quelle poilade! Mais non; nous sommes loin des travaux de broderie au coin du feu et des airs cabotins que Charles jouait au violon!! Nous, on avait droit aux ritournelles habituelles : « T’as vu l’heure ? T’as vu l’état de ta chambre ? Mais c’est quoi ce bouton ? T’es amoureux ou quoi ?» et j’en passe! Les mères sont la critique personnifiée et qu’on soit Paris Hilton ou Marie Ingalls, le rejeton n’est jamais dans le vrai.
Nos mères ont lu Dolto et Cyrulnik et pensent tout de même qu’une bonne claque suffit à calmer l’hystérie de l’enfant ou au contraire qu’il faut débattre du moindre pet de Mamour! Nul besoin de se taper les vingt-huit livres de Françoise pour aboutir à cette conclusion. La version moderne de la mère est très décevante. Nos chères Mômans devraient prendre exemple sur Caroline. Toutes pétries qu’elles sont de leurs expériences Balzaciennes, nos mères devraient analyser l’épisode 9566 Saison dix-sept de LPMDLP car elles y trouveraient de quoi rougir: du COURAGE! Maman Ingalls, Mère bravoure. Dix heures à labourer le champ (sans Pattie bien entendu, trente hectares à la main), quatre heures de cuisine, six heures de lessive dans un ruisseau par -40°, et pas une plainte! Quel contraste avec nos Working girls!
Il est temps de rendre justice. On a longtemps perçu LPMDLP comme l’une de ces séries jaunies, rediffusée en boucle depuis vingt ans afin de boucher les trous dans la programmation. Queneni! Ce bijou de sensibilité fut trop longtemps déconsidéré. Je m’insurge contre les descriptions pathétiques qu’on peut trouver des Ingalls. A propos de Charles : « Charles est très sociable, travailleur et soucieux du bien-être de son entourage », ou alors « Caroline est une femme courageuse, une mère dévouée, c’est également une excellente cuisinière ». Enfin, de qui se moque t-on, même Mabrouk la mascotte de 30 millions d’amis a droit à un portrait plus fouillé!! Pourquoi ne comparer le Lagarde et Michard et Picsou !
Cette œuvre télévisuelle dissimule sous des traits champêtres et naïfs, les arcanes d’une éducation idyllique. La figure marquée du père, Charles, est un parangon de la Paternité. Voilà ce que cachait ce torse puissant, vêtu de sa chemise à carreau. LV s’égare. Immiscer la virilité bucheronnesque de Charles dans un récit sur les valeurs familiales sonne un chouillat incestueusement. J’arrête par conséquent de m’étendre sur Charles, sur le sujet, pardon.
Mon modèle familial à moi était plus proche de Dallas. Ambiance ranch !
Faisant fi de l’anachronisme, je trouve qu’en Dallas et LPMDLP s’inscrivent les deux penchants grossiers du poids familial. D’un côté, nous avons les petits amis de la forêt, les champions de l’amour de sang : nos chers paysans: les Ingalls. Amour, travaux des champs, boutons d’or et compagnie. De l’autre, la bande de la « Névrose héréditaire ». On approche déjà plus de la réalité. Une famille qui ne peut pas s’encadrer. Au programme : histoires d’héritage, de rivalités, de disputes enragées. A part Bobby et Pam, le reste est bon à jeter! Je ne parle même pas de Sue, penchant satanique de Caroline, une mère brisée par le chagrin « qui ne suce pas que de la glace ». Pardonnez ma grivoiserie. Être élevé à la mode Dallas, ce n’est pas faire partie d’une famille, mais d’une Mafia. Mais chacun a son histoire, certes. Je ne sais pas de quel clan vous faîtes partie, moi je fréquentais le ranch et son univers impitoyable. Dans ce clan là, on pleure en regardant LPMDLP…

La Vilaine ne fera pas de vieux os....


La vieillesse me dérange parce que derrière les rides et les déambulateurs, j’entrevois ma propre décrépitude. Le troisième âge est-il autre chose qu’un long préambule à la Mort?
Tout commence avec la réception à domicile du colis « vieille peau » soit LA PERTE dans toute sa splendeur. Perte de la mémoire, des cheveux, des dents, de la vue, des sphincters. Nous perdons tout pour gagner gros : un one to one avec la Dame faucheuse. Cette perspective ne me remplit pas de joie. Lorsque j’allais chez mes grands-parents, je considérais les numéros chapliniens de Papy Gaston et Mémé Josette comme une sorte d’avertissement. Une petite voix perverse me susurrait : « Voilà ce qui t’attend ma grande! ». A présent, j’approche de l’âge christique (ce qui n’est pas bon signe) et je dois me préparer à la lutte! Si vous aviez vu Papy Gaston confondre Mémé avec Youki, le Pékinois de la famille (erreur facile puisque tous deux avaient une hanche en plastique), vous auriez été tout comme moi saisis par l’effroi! Je pense également à cette fameuse nuit pendant laquelle l’infortunée Josette fut quasiment étranglée par Gaston qui se croyait en temps de guerre. Son rêve lui fit confondre Mémé avec une « saleté de Bosch »… Heureusement, Youki est intervenu mais la famille n’en demeura pas moins choquée.
Nostalgie quand tu nous tiens… Je me rappelle le charme désuet de mon grand-père. Les éclaboussures, ah les éclaboussures! Divers et variés, les embruns étaient quotidiens : soupe, rouge, café, croûtes de fromage. La vieillesse rend parfois généreux. Un exemple? Les effluves corporelles. Nous le savons, l’hygiène et le troisième âge ne font pas bon ménage. Ce gros souci de pollution olfactive embarrasse plus d’un enfant. Je parle de ce tendre moment, celui où nos mères nous poussent à recevoir la bise mouillée de Pépé/ Mémé avant de se coucher. Que de malaises et d’asphyxies! Les Vieux sont de sérieux concurrents de la 3D. Avec eux, nous en avons plein la vue, le nez et les oreilles!! Surtout les oreilles car nos amis fripés ont un besoin gigantesque de communiquer. Certains attribueront ce phénomène à la solitude dont ils souffrent; en ce qui me concerne, je n’y vois qu’une envie sévère de nous « les briser menu menu ». Absolument! Juste pour se venger parce que nous leur présentons un visage aussi lisse que les fesses d’un bébé, une taille marquée, des muscles actifs, une joie de vivre inébranlable et une dentition qui n’est pas amovible! Voici un exemple de vengeance caractéristique : Mémé Josette a tenté de m’assassiner lorsque je n’étais qu’une vulnérable petite fille. N’ayant pas chaussé sa paire de « culs de bouteilles », Mémé m’a administré le vermifuge du chien au lieu de mon sirop pour la toux. J’ai survécu il est vrai, mais pendant des mois j’ai subi de légers problèmes gastriques. Étourderie ? Représailles ?
Non contents de se ratatiner comme une vieille pomme, ils décident alors de nous rendre fous. La technique qui marche à tous les coups semble consister à feindre la démence en rabâchant. J’ai pu ainsi écouter 562 fois les combats en Indochine, la capture du soldat Pichon, les descriptions plus que parlantes des Asiatiques dont Papy placardait les murs de sa cave. Comment oublier les récits terrifiants de luttes ? Les corps à corps sanguinaires, les tranchées... Petite fille, j’en frissonnais. Bien plus tard, j’ai compris que Gaston était comptable dans l’armée et qu’il n’avait pas dû voir un cm² de champ de bataille. Son implication au sein de l’armée se limitait à faire des calculs et classer dangereusement des dossiers, nous sommes loin de « Good Morning Vietnam » ! Les Mémés sont davantage ancrées dans la vie quotidienne. Rejoignant Françoise Hardy et son amie la rose, elles serinent des anecdotes, puis, gémissent en évoquant leur jeunesse perdue. La vie pendant la guerre, les rations de pains, les oranges à Noel alors que, NOUS les jeunes nous ne sommes jamais satisfaits! Cela sonne t-il familièrement à vos écoutilles amis lecteurs ? Les peintures exaltées d’un temps passé sont rapidement devenues la plaie de mes séjours dans la maison familiale.
S’il n’y avait que ça ! Comment excuser le comportement parfois abusif des personnes âgées ? LV songe à toutes ces fois où elle a dû laisser sa place à une petite veille qui la fixait d’un regard de cocker ou, au contraire, toutes les autres fois où ayant devancé la requête, Mamy musette l’a accablé « parce qu’elle peut encore tenir debout » !! L’incohérence est souveraine dans les maisons de retraites. LV est révoltée contre ces gens qui jouissent de 100% de leur temps libre et qui hantent nos magasins aux heures de pointes. Dans les supermarchés, Mamy traîne ses jambes fluettes vers 18h00 lorsque la foule des travailleurs exténuée doit s’y rendre. Trente minutes dans chaque rayon. A petits pas. A la caisse, Lucienne classe ses courses par ordre thématique et accomplit avec talent une délicate bouclette à CHAQUE sac. Pressé, usé, vous devrez attendre Lucienne. Sans être insultant ni violent. A la gare, vous courrez tel un évadé, vous n’avez que vingt minutes pour acheter votre billet et vous ruer sur le quai. Non; navrée de vous le dire mais vous manquerez ce train. En effet, Jeannine 82 ans a décidé elle aussi de se déplacer pour acheter ses billets. Une véritable urgence puisqu’elle part voir sa fille dans six mois. Le temps que l’employé lui explique que les trois changements sont inscrits sur le billet, le temps que Jeannine lui demande « des petites étiquettes charmantes pour mettre sur les bagages », qu’elle conte l’ensemble de sa vie (avec les détails), le train est parti depuis quinze minutes. Il est vrai que ces cas sont plutôt citadins, les débris provinciaux peuvent se laisser aller. En ville, l’ancêtre devient un cauchemar. Le pire concerne le halo d’immunité qui enveloppe ces jolies têtes grises. L’âge attribue une protection mystérieuse. Un vieux vous tutoie ? C’est normal. Vous rudoie ? Normal aussi! Les vieux bêtes et méchants existent et je trouve scandaleux de devoir encaisser sans broncher leur salve de reproches parce que dans une société judéo-chrétienne, le respect des rides est sacré.
Garez vos déambulateurs, planquez vos sondes à pipi parce que LV n’hésitera pas une seconde à shooter dans vois béquilles si nécessaire. Je rêve d’une société où la jeunesse serait justement considérée et respectée.
LV